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15/04/2014

Télérama : France, le graphisme n'imprime pas

Les moyens techniques n'ont jamais été aussi puissants. Mais au service de quelle cause ?

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En France, le graphisme n'imprime pas

ARTS ET SCÈNES | Ils sont branchés sur tous les supports, ont hérité d'une histoire foisonnante. Pourtant, les graphistes souffrent d'un manque de reconnaissance. 2014, année du graphisme, vraiment ?

Le 12/04/2014 à 00h00- Mis à jour le 14/04/2014 à 19h02
Xavier de Jarcy - Télérama n° 3352

 Michal Batory pour Télérama

Michal Batory pour Télérama

Le graphisme est partout. Sur les murs, sur les panneaux routiers, sur les enseignes qui brillent dans la nuit, dans les journaux et sur les sites Internet. Mais la planète des signes sur laquelle nous vivons se résume souvent à une morne cacophonie visuelle. Parfois, pourtant, une affiche invite à réfléchir, une typographie éblouit par sa finesse, on tombe amoureux d'un livre à la mise en page raffinée. Là, dans l'ombre, un homme ou une femme a pensé à nous avec culture et générosité : un graphiste.

En France, alors qu'on fête le graphisme toute cette année 2014, et malgré le génie d'un Cassandre (1901-1968) ou d'un Savignac (1907-2002), dont le trait gouailleur et populaire emprunte à Toulouse-Lautrec, ce métier protéiforme est peu reconnu. Souvent, les commanditaires pensent qu'avec quelques logiciels et un exécutant docile le travail sera assuré. « On nous considère un peu comme des épiciers de la couleur »,confirme l'un des intéressés.

El Lissitzky, 1925. © The MOMA,
New York/Scala, Floren

El Lissitzky, 1925.
© The MOMA,
New York/Scala, Florence

Pourtant, le design graphique a une longue histoire. Il prend réellement son essor en Russie après la révolution de 1917, dans un mouvement d'avant-garde appelé constructivisme. L'un de ses chefs de file, l'architecte El Lissitzky (1890-1941), compose alors un nouveau langage visuel mêlant textes, dessin, peinture et photographie. Ses affiches, dynamiques, avec des cercles, des carrés, signent la rupture avec la tradition et la marche vers le progrès. Dès le début, le graphisme s'affirme comme un art au service de la société.

Herbert Bayer, 1927. © The MOMA,
New York/Scala, Flore

Herbert Bayer, 1927.
© The MOMA,
New York/Scala, Florence

Le constructivisme s'exporte dans les années 1920 en Allemagne, au Bauhaus, où un Autrichien, Herbert Bayer (1900-1985), met au point une mise en page rationaliste, géométrique, et dessine une typographie simplifiée, sans majuscule, dont le nom est à lui seul un programme : l'Universal. L'absence d'empattement des lettres symbolise l'héritage des Lumières face à un obscurantisme incarné par les caractères anciens.

Piet Zwart, 1931. © The MOMA,
New York/Scala, Florence

Piet Zwart, 1931.
© The MOMA,
New York/Scala, Florence

Une décennie plus tard, les Pays-Bas prennent le relais. Un architecte, Piet Zwart (1885-1977), imagine pour les postes néerlandaises des brochures explicatives d'une géniale modernité, allant même jusqu'à utiliser la photographie aérienne dans ses compositions. Après la Seconde Guerre mondiale, le monde rêve de paix et de fraternité. On ne veut plus des nationalismes et de leurs symboles.

Josef Müller-Brockmann, 1954.
© DR

Josef Müller-Brockmann, 1954.
© DR

Les Suisses, réputés neutres, prennent la main sur le métier. Josef Müller-Brockmann (1914-1996) établit un système de mise en page à partir d'une grille quadrillée invisible sur laquelle s'alignent les motifs ; Max Miedinger (1910-1980) dessine la police de caractères la plus répandue à ce jour : l'Helvetica. Posé, simple, efficace, un peu clinique avec ses aplats de couleur, le style suisse définit le langage visuel de l'après-guerre.

Max Miedinger, 1967. © DR

Max Miedinger, 1967. © DR

En Pologne aussi, on s'agite après 1945. Les communistes au pouvoir font appel aux artistes pour aider à la reconstruction nationale. Dans les rues froides et sombres aux vitrines vides, de magnifiques affiches éclairées évoquent le cinéma, le théâtre ou la science : c'est l'école du surréalisme polonais, emmenée par Henryk Tomaszewski (1914-2005).

Henryk Tomaszewski, 1979.
© DR

Henryk Tomaszewski, 1979.
© DR

Le gourou de Varsovie ruse avec la censure par ses images peintes à double sens. Ebahis par son inventivité et son humour, deux jeunes Français, Pierre Bernard (né en 1942) et Gérard Paris-Clavel (né en 1943) partent se former dans son atelier. A leur retour, ils sont happés par le tourbillon de mai 1968 qui fera d'eux la nouvelle avant-garde du graphisme international. En 1970, ils se retrouvent profs aux Arts-Déco, au moment même où ils fondent le collectif Grapus, contraction de « graphisme » et de « crapule stalinienne », comme les gauchistes les appellent.

Grapus, 1982. © DR

Grapus, 1982. © DR

Car Grapus, rejoint ensuite par Alex Jordan et Jean-Paul Bachollet, a choisi le communisme. Il s'investit dans le « graphisme d'utilité publique » : le domaine culturel et associatif, délaissé par des agences de publicité alors en pleine expansion.
La guerre est déclarée avec l'école suisse, défendue par le grand Jean Widmer (né en 1929). Installé en France depuis les années 1950, il enseigne lui aussi aux Arts-Déco... A sa poésie géométrique appréciée par la publicité, Grapus oppose le rejet de la typographie, le geste libre et direct, le refus de composer avec la pub, accusée d'entretenir les stéréotypes sociaux. Pendant que Widmer signe le logo des grands magasins du Printemps (avant ceux du Centre Pompidou et du musée d'Orsay), le collectif dessine des affiches pour les mairies de la « banlieue rouge » parisienne.

Jean Widmer, 1969. © DR

Jean Widmer, 1969. © DR

En refusant de travailler pour le marché, une partie de la profession contribue sans doute à la médiocrité de la publicité française actuelle, où l'on met platement en avant la marque et le produit. Cette fracture entre le commercial et le culturel, assez unique au monde, se creuse jusqu'à la fin des années 1980. Jean Widmer lève le pied, Grapus se disloque, le mur de Berlin tombe, l'ordinateur révolutionne le métier. Les moyens techniques n'ont jamais été aussi puissants. Mais au service de quelle cause ?
Après une période de flottement, une nouvelle génération heureusement émerge, en particulier avec M/M Paris, fondé en 1992 par Michaël Amzalag (né en 1968) et Mathias Augustyniak (né en 1967). Ils aiment la mode, la musique, admirent les pochettes de disques du génial Peter Saville (né en 1955). Mais aux Arts-Déco, où ils étudient, les enseignants jugent ces dernières trop commerciales, et sûrement pas un sujet d'étude ! Pour emballer les albums du groupe New Order, Saville réinvente pourtant le cartonnage en le perforant ou en le doublant de papier calque. Car, au Royaume-Uni, mode, musique et graphisme forment une culture populaire et spontanée d'autant plus remuante et imaginative que le gouvernement Thatcher a coupé toutes les subventions.

M/M Paris, 2007.© DR

M/M Paris, 2007.© DR

Le style visuel dansant de M/M Paris devient mondialement célèbre. A l'aise dans le public comme dans le privé, le duo signe des pochettes pour la chanteuse Björk, des publicités pour les vêtements Balenciaga, participe à la scénographie d'expositions d'art contemporain, réalise des affiches pour le Théâtre de Lorient...

Pendant ce temps, sommées de devenir rentables, certaines institutions culturelles françaises commencent à se comporter comme des marques, avec logos et responsable communication. Elles traitent de moins en moins bien les graphistes, soumis à des appels d'offres contraignants et ruineux car non rémunérés.

Les Villes et les Régions emboîtent le pas aux institutions culturelles et font leur promo comme des marques de lessive. Le monde du graphisme, qui « ne cherche pas à vendre » mais à informer le public par un acte artistique, se sent trahi.

La situation est d'autant plus tendue qu'aujourd'hui les budgets culturels sont à la baisse.

Paradoxalement, c'est l'industrie du luxe qui soutient désormais les graphistes. Ses responsables « ont compris l'intérêt de faire appel à de bons designers. Les graphistes ont face à eux des interlocuteurs compétents, qui les respectent et les paient bien. On ne soupçonne pas le savoir-faire, l'intelligence, l'organisation, l'attachement au patrimoine dont font preuve certaines grandes marques. Alors que des logiques ultralibérales sont désormais à l'oeuvre dans des institutions publiques qui réclament la rentabilité... » explique-t-on dans un atelier. Quand on doit gagner sa vie, le choix est vite fait. Mais pour des artistes qui se voulaient, et se veulent encore, engagés au service d'une utopie sociale, d'un monde plus fraternel, c'est un déchirement.

En janvier, la ministre de la Culture Aurélie Filippetti a annoncé des mesures en faveur d'une profession bouillonnante qui compte entre trente-cinq mille et cinquante mille membres. A commencer par une charte de bonnes pratiques du côté des commanditaires publics. Il était temps. La France du public et du privé va-t-elle enfin se réconcilier avec ses graphistes ?

A voir : la revue Graphisme en France, éditée par le Centre national des arts plastiques, fête ses 20 ans autour de divers événements.
A ne pas manquer : le Festival international de l'affiche et du graphisme, à Chaumont (52), du 17 mai au 9 juin, et Une saison graphique, au Havre (76), du 5 mai au 27 juin. A l'automne, rendez-vous à Echirolles (38) pour le Mois du graphisme. www.graphisme enfrance.fr

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